Les chroniques "À propos"
articles paraissant régulièrement dans la revue"Arts et métiers du livre" Qui en sourira, qui en médira, qui en horreur le prendra, qui plus, qui moins en retiendra.(Péter Bornemisza) 1. À propos du... titre. (N° 214, mai-juin 1999). En mettre? Pas en mettre? "Tout en haut" - disent les anglais. "Au deux tiers", "à la chinoise"- disent les français. Que disent les japonais? Et qui dit que "sans titre pas de reliure"? Et à quoi ça sert exactement? A l'origine, pas de mystère, pas de règle, mais une fonction : trouver le livre que l'on cherche. Mais peut-on appeler titre les signes tracés à l'encre sur la tranche du livre à l'époque où les livres étaient encore entassés à plat? Peu à peu ils se sont mis debout, puis ont tourné leur dos vers nous. Les premiers titres poussés sur les dos en cuir sont restés des signes d'identification, une abréviation, un fragment du titre. Au XIXème on a finalement réussi à caser auteur, titre, numéro de volume, date et plus tard même le nom de l'illustrateur. Nos doreurs poussent toujours un titre court, fonctionnel, indispensable pour reconnaître un ouvrage dans une bibliothèque, sur le dos de toutes les reliures courantes qui sont posées telles quelles sur un rayonnage. Protéger les reliures n'est pas une habitude ancienne - nous sommes tous un peu nostalgiques du temps où l'on ne s'encombrait pas de chemises, étuis et boîtes et les reliures se patinaient délicieusement au fil des siècles - mais c'est fini tout cela, car nous voulions de la couleur, des peaux brillantes, des décorations subtiles et fragiles...à tel point qu'aujourd'hui il n'est plus concevable de garder une reliure décorée sans chemise/étui ou boîte, portant le titre bien évidemment. Faut-il alors mettre un titre aussi sur le dos ou sur le plat de la reliure qui est dedans? On peut, si l'on veut. Si vous y tenez vraiment, demander le expressément à votre relieur, mais ne soyez pas surpris si la réponse est un évasif "je verrai" , car certains aiment garder les vieilles habitudes et d'autres aiment les remettre en question...
2. À propos des... associations. Il y a vingt ans, fraîchement sortie de l'école de l'Union Centrale des Arts Décoratifs j'étais déçue de voir qu'il n'y avait pas chez nous une grande association capable d'accueillir, épauler, encourager un relieur qui débutait dans le métier. J'enviais les anglais, les allemands ou les américains dont les organisations savaient réunir des centaines voire des milliers de personnes de divers horizons, intéressés par le livre et par la reliure. Designer Bookbinders, The Society of Bookbinders, Meister der Einbandkunst, The Guild of Bookworkers, The Center for Book Arts, Centro del Bel Libro, et tant d'autres associations ou fondations dans divers pays, je vous aime toujours, mais je ne vous envie plus! Je me suis rendu compte que finalement, nous ne sommes pas si mal lotis que cela en France. Nous avons, nous, une mosaïque d'associations dynamiques qui ont appris à vivre ensemble au fil des années, et qui n'ont pas les difficultés liées à la taille ou à la hiérarchie. Nos associations Elles ont bien évidemment toutes leurs particularités, mais le cloisonnement disparait petit à petit, car elles sont ouvertes à tous, sans distinction d'âge, de sexe, de statut social, de nationalité, ou même de profession...Quiconque veut se consacrer à sa passion peut facilement s'insérer dans une ou plusieurs de ces structures. Il y rencontrera ceux qui font les livres et ceux qui les collectionnent. Il trouvera facilement des cours de reliure, dorure, gravure, une revue spécialisée, des conférences, des sorties, des expositions. ll peut même devenir relieur professionnel, s'il est doué et travailleur. J'en connais plusieurs à qui cette aventure est arrivée la quarantaine passée....Et aussi, nous sommes quelques-uns, parlant des langues étrangères, qui faisons partie d'associations d'autres pays, et un certain nombre d'étrangers sont membres de nos associations françaises. Ainsi le courant passe dans tous les sens. Tout laisse croire que nous avons appris quelque chose : au lieu d'exclure et de mépriser le voisin, on va le voir pour lui donner un tuyau et prendre de ses nouvelles. Serions-nous, gens du livre, plus évolués que le reste de l'humanité?
3. À propos des... expositions. Tout le monde veut des expositions et pourtant les critiques pleuvent chaque fois qu'une exposition collective s'ouvre. Les plus critiquées sont évidemment celles où la contribution pécuniaire remplace la sélection d'un jury. Ces expositions, où le meilleur côtoie le pire, envoient un message confus à un public qui ignore déjà presque tout de la reliure. Viennent ensuite les expositions-concours ouvertes à tous. Si des prix y sont décernés, tout le monde en ressent l'arbitraire, sauf les lauréats, et encore, car le seul heureux sera le premier. Choisir parmi les concurrents un lot de reliures à exposer, donc dire que le prix est le fait d'être choisi, est une solution plus sympathique, car l'argent disponible profite à tous : en général il est investi dans un catalogue bien illustré. Oui à la sélection donc, mais encore faudrait-il que les perdants restent anonymes et la sélection juste. Mais comment un jury pourrait-il être juste? Ceux qui organisent une exposition veulent se protéger d'avance des critiques et réunissent un jury composé de personnalités d'horizon divers. Leur choix sera forcément un compromis. Compromis entre les goûts et les opinions des différents membres du jury, sans parler des compromis affectifs, politiques ou géopolitiques. Qui dit compromis dit le plus commun des dénominateurs, le choix des oeuvres qui plaisent à tous, donc le choix du gris, de la moyenne. Que faire alors? Et si l'on chargeait une seule personne du choix? Comme cela se fait dans d'autres domaines de l'art? J'aimerais voir un commissaire d'exposition tout puissant qui pourra nous concocter des expositions qui auront du caractère, de l'imagination, une orientation, qui exprimeraient une opinion franche. Une personne qui aura le courage d'assumer ses choix. Serait-ce si difficile à trouver des gens osant affirmer leur préférences et leur refus?...Est-ce que je rêve?
4. À propos de... s'exposer. Qui dit son opinion s'expose. Une chronique comme celle-ci est toujours risquée et parfois on secoue vigoureusement les branches sur lesquelles on est assis. Pascal Fulacher m'a demandé récemment de faire partie du jury de l'exposition-concours qu'il organise. Bien sûr, j'aurais aimé qu'il me dise : "tu viens d'écrire dans ton dernier "A propos" que la notion même du jury est mauvaise, que tu aimerais qu'une exposition soit l'oeuvre d'une seule personne qui prendrait la responsabilité de ses choix. Je te prends au mot, je t'en offre la possibilité là, tout de suite : accepte, s'il te plaît, d'être le décideur tout puissant de mon exposition". Eh bien non, à mon grand regret, il ne m'avait pas dit cela. Il m'a seulement proposé de faire partie du jury. J'ai accepté parce que je n'avais pas envie de dire non, ni à lui ni à Marie-Ange Doizy, parce qu'ils sont de vieux amis, mais aussi parce que je sais qu'il sait : si leur décisions sont contraires à mes convictions je ne les endosserais pas. Et il sait aussi, car il m'avait sollicitée, que je ne suis ni malveillante, ni sectaire. Et ceci m'emmène à vous affirmer que je ne vise personne. Que si ma chronique se trouve parfois juxtaposée avec tel ou tel article dans la revue, ne cherchez pas d'idée derrière ma tête, il n'y en a pas. Par contre si vous avez envie de me dire quelque chose, mon adresse électronique figure en bas, à côté du hérisson. Sans compter le fait que si nous avons une revue qui est toujours prête à ouvrir ses pages à ceux qui ont quelque chose à dire, il faudrait que vous en profitiez un peu plus. Pourquoi rester à ronchonner dans votre coin? Écrivez à Art et Métiers du Livre. Exposez-vous!
5. À propos des... cisailles. L'outil que les relieurs appellent cisaille, inventé par Monsieur Massicot est connu par le commun des mortels sous le nom de massicot. Ce que nous, relieurs, appelons massicot devrait plutôt porter le nom de Monsieur Guillotin. La cisaille sert à couper cartons et papiers d'équerre, tout en gardant une dimension donnée - c'est une paire de grand ciseaux fixée sur une table. A cela il faut ajouter un certain nombre d' accessoires : guides, règles, serre-papier et contrepoids. Sur une cisaille sophistiquée tout est réglable. La lame fixe est montée contre la table par une série de vis. Elle doit être parfaitement rectiligne. On peut facilement vérifier cela, en coupant une grande carte en deux, en retournant une moitié dans le sens tête/queue et en plaquant les deux coupes sur une surface bien plane. Si la lame n'est pas parfaitement droite, les morceaux s'écartent par endroits. Si vous constatez un écartement, le réglage de la lame doit être fait par rapport à une règle certifiée droite - et là, il vaut mieux consulter un spécialiste. L'autre lame est courbe, mobile, montée sur un bras, dont l'extrémité est souvent chargée d'un poids. Ce poids est suffisamment léger pour que la lame reste horizontale en position de repos, et suffisamment lourd pour la basculer en position haute, si elle est lâchée en cours de travail. Ce contrepoids étant coulissant, on peut régler ce jeu de bascule et immobiliser le poids en bonne position par sa vis. En coupant une feuille, on baisse progressivement la lame mobile en frôlant la lame fixe. Si les lames sont bien affûtées et bien montées, on ne doit jamais tirer fort la lame mobile contre la lame fixe, car elle risque de l'abimer. ... la suite au prochain numéro ...
6. À propos des... cisailles (suite). En relisant mon dernier à propos en vue de commencer le nouveau, je me suis rendu compte de l'abîme qui sépare les pauvres immigrés de ceux qui vivent dans le pays de leur langue maternelle. Et vous me m'avez rien dit. Comment voulez-vous que j'apprenne? Suis-je un cas aussi désespéré que vous ne me corrigiez même plus? Certaines marques de cisaille proposent une lame pour couper le papier et une autre pour le carton. Elles ont sûrement raison, surtout dans un monde rêvé où nous aurions tous les moyens d'acheter deux cisailles, une grande et puissante pour les cartons et une petite fignoleuse pour les papiers - et bien sûr assez de place pour les mettre. Les papiers et cartons doivent être fermement maintenus pendant la coupe par le serre-papier (ou presse-papier) que l'on actionne par une pédale, à moins que le serrage soit automatique, lié à l'abaissement de la lame mobile. Le parallélisme et l'écartement du serre-papier sont souvent réglables par des écrous que l'on trouve sur les extrémités d'une barre située sous la lame fixe. Si vous entendez un couinement chaque fois que vous appuyez sur la pédale, regardez si vous trouvez des points prévus pour lubrifier les axes. Les cisailles dites "à coupe illimitée" ont un serre-papier ouvert à une extrémité. En enlevant la tige qui commande la pédale (on actionnera le serre-papier manuellement), on peut glisser sous le serre-papier des feuilles bien plus grandes que la longueur de la coupe et les couper progressivement en les poussant après chaque coupe. Du papier de verre fin et autocollant ou du caoutchouc collé sous le serre-papier augmentent considérablement son efficacité, au contraire sur les cisailles à coupe illimitée il faut éviter de le faire car le serre-papier s'abaisse avec un mouvement en biais et il risque de chasser brutalement le papier au lieu de le maintenir en place. ... la suite au prochain numéro ...
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