La reliure contemporaine à l'UCAD
Brochure publiée à l’occasion du concours de l’UCAD en 2002, dont j’ai été la lauréate. Ce concours sur invitation (7 relieurs ont été priés d' y participer) marquait la réouverture de la Bibliothèque des arts décoratifs de l’UCAD. Sün Evrard D'origine hongroise, Sun Evrard est une ancienne élève de l'UCAD. Diplômée
en 1976, elle ouvre aussitôt son premier atelier et débute très tôt l'enseignement de la reliure et du décor,
tout d'abord à l'UCAD puis à l'Atelier d'arts appliqués du Vésinet Elle est durant de nombreuses années l'ambassadrice
de la reliure française contemporaine à travers ses multiples voyages, cours, conférences et expositions en Amérique du
Nord, Australie, Grande-Bretagne et Europe. Les nombreux contacts et échanges qu'elle entretient avec ses confrères du monde entier lui ont permis
d'élargir ses connaissances dans le domaine de la conservation des livres anciens et d'explorer la diversité des techniques. Soucieuse
autant de la structure que de l'esthétique de la reliure, Sun Evrard développe des recherches personnelles, intégrant dans son
travail des techniques étrangères et d'époques très anciennes. Elle met ainsi au point en 1984 la reliure simplifiée
à dos souple (baptisée depuis de nombreuses années « reliure à plats rapportés » par
son ami August Kulche). Sans endossure, cette technique permet une bonne ouverture du livre et l'utilisation de techniques de couvrure insolites.
Sensible aux textures expressives des peaux de toutes natures, qu'elle n'hésite pas à retravailler par ponçage, plissage,
teinture ou peinture, par des incrustations ou par dorure traditionnelle, Sun Evrard aime les défis qui la conduisent à pousser ses
recherches toujours plus loin. Par le hasard de quelques commandes, attirée de plus en plus par les livres anciens, et en particulier les petits fascicules
des xvie et xvne siècles, elle développe la reliure à agrafes. Cette technique nouvelle utilise l'or pour assembler le livre
à sa reliure et des baguettes en bois pour ajouter de la tenue à la souplesse des plats. Le travail sur le livre ancien l'a renforcée
dans ses convictions de toujours: elle veut que la reliure reflète une atmosphère en harmonie avec le livre, mais au second ou au
troisième degré. Elle refuse le décor « anecdotique » qui tente d'illustrer le contenu, et évite en ce sens l'imitation
des motifs décoratifs de l'époque ainsi que la copie de l'illustration du livre. Sun Evrard cherche à retrouver la spontanéité
des reliures décorées anciennes et écarte délibérément le « décor » surchargé et trop construit.
La lauréate
Largement commenté et analysé par François Chapon et Yves Peyré dans leurs ouvrages respectifs (1), LeBestiaire ou Cortège d'Orphée, de 1911, figure parmi les livres de peintre majeurs du XXe siècle. Après L'Enchanteur pourrissant, premier livre d'Apollinaire publié en librairie -édité par Henri Kahnweiler et illustré par André Derain-, Le Bestiaire participa pleinement à la renaissance de la gravure sur bois, qui est ici magnifiée par un artiste d'un immense talent. Cet ouvrage, et plus encore cet exemplaire rare sur japon, impose une grande humilité que Sun Evrard a très bien perçue lorsqu'il lui fut confié par la bibliothèque des Arts décoratifs. Ne pas porter atteinte à l'intégrité de l'exemplaire, préservé dans sa couverture collée en parchemin, telle a été l'attitude du relieur, adepte de la reliure de conservation dont une des caractéristiques est d'être sans endossure, donc sans pliage. La structure de reliure à agrafes s'est aussitôt imposée: dix agrafes en or gris sur plaquettes de bois bleues (poirier) parcourent le dos, maintenant solidement l'exemplaire à sa reliure sans pour autant en altérer ni l'ouverture ni la souplesse. Restituer la force et le raffinement des bois gravés de Dufy, qui rivalisent dans l'ouvrage avec la splendeur des vers d'Apollinaire, fut un autre défi que Sun Evrard affronta avec la sérénité propre aux artistes d'envergure. Une peau de sanglier gris foncé provenant de Hongrie lui a paru correspondre à l'intensité des gravures, tout en lui permettant d'échapper au contraste engendré par le noir et le blanc. L'irrégularité de la technique de la gravure sur bois, où la main de l'artiste est fortement présente, ne pouvait être traduite qu'au travers d'un procédé d'estampage: un petit fer légèrement triangulaire permit au relieur d'estamper son cuir dans différentes teintes d'oeser formant un véritable semis multicolore qui s'organise en lignes autour du dos. L'intérieur de la couverture souple, quant à lui, est recouvert de bandes découpées dans l'envers de la peau de sanglier, de couleur gris foncé. Cette succession de petits fers juxtaposés qui évoquent avec délicatesse et discrétion la luminosité de ce livre savoureux et grandiose forment un véritable bestiaire imaginaire. (1). François Chapon, Le Peintre et le Livre. L'âge d'or du livre illustré en France 1870-1970, Paris, Flammarion, 1987; Yves Peyré, Peinture et Poésie: le dialogue par le livre, Paris, Gallimard, 2001.
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